Je vous invite à observer et comparer les postures des trois hommes en plateau — tous des hommes, donc, et tous trois bien caucasiens, au passage.

Aymeric Caron a un discours posé qui convoque les faits relayés et validés par les instances internationales onusiennes, européennes et les associations humanitaires, entre autres. Il se montre calme et des plus pédagogue.

L'animateur-journaliste, lui, centre le débat sur la faute morale de LFI et de ceux et celles qui prennent la parole contre Israël, mais il ne trouve rien pour étayer cette position de censure. Le co-animateur-éditorialiste, lui, n'intervient que pour tenter vainement et sans intelligence de discréditer le propos d'Aymeric Caron.

Si l'on prend de la hauteur, LFI propose qu'on applique à l'encontre d'Israël et autres États ne respectant pas les droits humains ou commettant des atrocités reconnues internationalement le même type de sanctions qu'on a pu appliquer pour certains États par le passé ou actuellement pour la Russie — ou du mois s'étonne qu'il n'en soit pas du tout question pour Israël.

Le journaliste-animateur, lui, se préoccupe surtout qu'on puisse s'attaquer "aux juifs", dans un regain d'antisémitisme aveugle résurgence de l'époque nazie.Le co-animateur-éditorialiste, lui, minimise les mauvaises actions d'Israël et tente de discréditer toute proposition visant à contester la légitimité des actions génocidaires d'Israël.

Et cela reflète bien l'état du débat actuel sur la question de la terre promise.

Du point de vue religieux, cette terre a été promise aux Juifs par Moïse, prophète du dieu Yahvé, mais c'est aussi celle qui a vu naître le prophète juif Jésus qui est à l'origine du christianisme comme Mahomet, ce prophète de cette région sémitique qui a fait naître l'Islam. Autrement dit, cette terre est sacrée pour les trois religions siamoises fratricides qui s'en arrogent la propriété. Selon les Lois de Dieu, aucune solution n'est possible en passant par la foi.

Du point de vue historique, cette région du monde a été successivement sous domination juive, chrétienne, arabe et Occidentale.

Selon le droit de préséance qui n'existe pas et bousculerait toutes les frontières mondiales, les Juifs en sont les habitants légitimes. Mais alors il faudrait accepter de déplacer tous les peuples du monde.

Selon le droit du dernier installé, ce sont bien les Palestiniens qui en étaient les habitants réguliers avant la colonisation juive initiée par les Anglais et leurs alliés au sortir de la seconde guerre mondiale.

Selon la Loi du plus fort, ce sont les Juifs qui se sont arrogé cette domination du territoire et qui l'étendent par la force, alors il faudrait accepter que d'autres nations plus fortes reprennent par la force ce même territoire.

D'un point de vue psychosocial, Palestiniens et Israéliens ont été mêlés de force terre et sang depuis plus de soixante ans, et il n'est plus possible de justifier la dépossession de l'une ou l'autre de ces deux "nations" fratricides. Sauf qu'il paraît impensable d'imaginer une coexistence pacifique entre ces peuples qui se sont tant fait souffrir.

Bref, la situation semble dans l'impasse, mais, comme toute impasse, elle n'est un cul de sac sans issue que si on ne regarde pas d'où l'on vient et n'en fixe que les murs infranchissables.

Or, que nous apprend l'Histoire ?

Au sortir de la seconde guerre mondiale, l'Europe est fracassée par des années de nazisme antisémite, et il n'existe pas un Juif qui se sente en sécurité parmi ses anciens voisins, tout comme il existe peu de non-Juifs capables de soutenir sans honte la vue d'un Juif, tant la collaboration a rongé les esprits et les cœurs.

Il aurait fallu que le nazisme n'advienne pas ou parachève son projet, qu'on puisse alors vivre dans des remords confortables. Là, la cohabitation empêche de faire le deuil de l'innocence perdue et de renouer avec son récit glorifiant national.

Or, on est encore en pleine période coloniale, et l'Europe dispose de territoires inféodés dont les peuples autochtones n'ont aucun droit — même pas celui d'être considéré comme humain.

La réponse paraît évidente : offrir une Terre qui ne sert à rien à un peuple dont on ne veut plus. Bénéfice net de l'opération :

- plus aucun ou en tout cas beaucoup moins de Juifs en Europe ;

- un État occidental allié en plein Moyen-Orient pour faire bloc contre le communisme et les Arabes en plein mouvement de décolonisation ;

- un poste avancé géostratégique pour conserver une mainmise économique et militaire sur les champs de pétrole de l'Arabie et le canal de Suez, très proche.

Voilà les facteurs de cet indéfectible et encombrant soutien à Israël : un passif collaborationniste et antisémite mal exorcisé, des intérêts économiques inavouables et une volonté politique néocoloniale.

Alors, oui, la levée de boucliers qui a lieu dès qu'on attaque Israël ressemble à un totem d'immunité gravé du mot "SHOAH" en lettres de feu, et quiconque critique l'État hébreu se voit accusé de l'infâmant et irréversible crime d'antisémitisme, et cela pose clairement la question du statut d'Israël entre État démocratique et dictature religieuse, même si réduire Israël a la religion d'État dominante de sa population est en soi une forme de discrimination religieuse à laquelle Israël se prête une peu trop volontiers pour rester intouchable.

Le joker "shoah" est une stratégie payante, car cela désamorce beaucoup d'oppositions pourtant fondées, comme celles d'Aymeric Caron et de son mouvement politique, mais cela confisque le débat et empêche d'affronter les réels enjeux politico-économiques bien triviaux et cyniques qui constituent la réalité des alliances internationales avec Israël.

On doit pouvoir traiter de nazi un Juif d'extrême droite qui conduit un génocide ethnique en vue d'étendre l'espace vital de son peuple, puisque c'est ainsi que cela s'appelle, et sans que ce soit considéré comme de l'antisémitisme.

Nier les crimes contre l'humanité perpétrés sous les ordres de Netanyahu doit en effet pouvoir s'appeler du négationnisme sans que ce soit de l'antisémitisme ni que les victimes de la Shoah se sentent offensées dans l'horreur intolérable qu'elles ont traversée.

Israël est une construction politique humaine qui doit pouvoir être regardée en face et amendée si on veut sortir de cette crise infernale par le haut.

Les Occidentaux en général et les Israéliens en particulier doivent reconnaître leurs torts pour que les Palestiniens eux-mêmes puissent déposer les armes qu'ils brandissent pour venger leurs existences et espoirs piétinés.

Comme on dit dans la cour de récréation quand un conflit inextricable n'en finit plus de susciter des drames en cascade, c'est au plus grand, au plus fort, au plus intelligent de faire cesser le combat en montrant l'exemple de la maturité.

Quand on ne reconnaît pas ses erreurs, elles se répètent, s'aggravent et deviennent des fautes inexcusables aux conséquences dévastatrices.

Or, ce serait bien que les Juifs connaissent la paix avant le Jugement dernier. Mais cette paix ne se fera pas tant qu'ils provoqueront la guerre autour d'eux.