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L'écriture inclusive :
entre inclusion et exclusions

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L'écriture inclusive naît d'un constat simple : les inégalités sexistes en défaveur des femmes, les discriminations négatives envers les minorités sont des faits de société à la fois courants et intolérables à notre niveau de développement.

En résulte forcément une recherche de solutions qui part de l'analyse des causes de ces dysfonctionnements de nos sociétés pourtant fondées sur des Constitutions promulguant l'égalité inter-individuelle.

Or, c'est là que le débat se crispe, comme à chaque fois que la norme est interrogée par celles et ceux qui y dérogent : en pleines polémiques sur la réalité de ce que seraient l'islamogauchisme, le wokisme ou la cancel-culture, les discussions s'enlisent dans des parti-pris idéologiques qui refusent en réalité de comprendre les enjeux pour se pétrifier plutôt en des modes de défense violents et rigides qui paralysent toute avancée sur ces questions. Je vous invite à ce propos à consulter mon article sur le statut de l'erreur dans notre civilisation, et particulièrement dans notre langage. Je vous invite également à parcourir ma tribune sur le wokisme pour poser quelques points de repère sur cet épouvantail électoral qui hystérise les éditorialistes.

Dépassionnons donc un peu cette polémique de postures idéologiques que seules agitent de fausses informations et biais de pensée.

Comme on peut facilement le constater, le débat tourne à vide sur des préjugés qui mésestiment autant les enjeux que les moyens proposés par l'écriture inclusive. Car, oui, l'écriture inclusive n'est qu'un catalogue de moyens proposés comme outils au service d'un objectif : inclure le féminin là où notre langue a pris au cours du XVIIe siècle le parti très phallocratique de l'évacuer "pour faire beau" et "parce que le sexe masculin est quand même bien plus noble". Je vous invite à ce propos à consulter mon article sur les clichés, qui fait la lumière sur les enjeux et mécanismes qui y sont à l'œuvre.

Je rappelle que le latin comptait 5 déclinaisons, dont la 1re qui a donné le féminin et la 2e qui a donné le masculin. Le neutre a disparu alors qu'il s'est maintenu dans d'autres langues. L'anglais n'accorde même pas au féminin ou au masculin. Ce sont donc des choix linguistiques plus ou moins "naturels". Sauf que la langue française a été orchestrée par le pouvoir central à des fins politiques et idéologiques : faire lien avec le grec et le latin pour anoblir le français, genrer un certain nombre de statuts afin d'acter la place des femmes et surtout la prévalence de l'homme sur la femme.

L'écriture inclusive, ce n'est pas que l'artifice très contestable du point médian qui, on en convient tous, rend plus ardue la lecture et exclut de fait les pratiquants fragiles de notre langue aussi bien de sa pratique que de sa lecture. Le procédé est donc à utiliser à bon escient là où il fait le mieux sens (titres et statuts, par exemple).

L'objectif des propositions de l'écriture inclusive, c'est de faire en sorte que filles et garçons ne soient pas éduqués inconsciemment à se destiner à tel ou tel usage social ou à s'interdire tel ou tel choix en fonction de leur sexe. Pourquoi n'aurions-nous pas en effet des professeuses autant que des professeurs, ou des autrices autant que des auteurs ? Le fait de "globaliser" par le masculin invisibilise la possibilité du féminin. Et le cerveau humain est fait de telle sorte que la norme n'est pas un choix réfléchi et conscient qui correspondrait à une réalité objective et légitime, mais la portion de réalité la plus répétée au point d'en devenir banale et un repère qui nous paraît rassurant parce que familier. D'où au passage l'élection d'Emmanuel Macron en 2017, qui était jusque là inconnu et a été propulsé au rang de seul présidentiable possible par un emballement médiatique évident alors qu'il n'avait ni programme ni communauté dont il incarnait les vœux. À bien des égards aussi, le phénomène se reproduit pour les nouvelles présidentielles de 2022 avec le matraquage médiatique autour de l'animateur de télé Éric Zemmour, qui serait demeuré un fâcheux éditorialiste si les prophéties autoréalisatrices des sondages en cascade n'alimentaient pas le phénomène. Les médias créent en effet le réel en le donnant à voir sous un angle choisi, ne serait-ce que parce qu'ils rendent invisible et inexistant ce qu'ils ne montrent pas. La langue est à cet égard un média, elle aussi, puisqu'elle véhicule des idées, des images, des valeurs. La langue est par essence un outil qui nous engage par les mots que l'on choisit ou par lesquels on se laisse coloniser.

L'écriture inclusive, ce n'est pas un dogme féminazi hors-sol, mais une réflexion sur des outils permettant de penser la langue non comme un outil neutre qu'il n'est pas, mais comme un levier pour contribuer à faire évoluer les consciences vers plus d'égalité de fait entre hommes et femmes. La plupart des gens qui en font une polémique autour du point médian et de la "théorie des genres" cherchent juste à caricaturer cette réflexion afin de détourner l'attention d'autres débats plus profonds et cruciaux sur l'iniquité systémique de nos sociétés, que certains ont grand intérêt à ne pas voir évoluer vers plus de justice sociale, économique ou écologique.

L'écriture inclusive, c'est en réalité une manière de rendre les locuteurs du français eux-mêmes actifs pour ne pas exclure les femmes ou d'autres catégories de l'espace public. Parce que la langue nomme le réel, et que ce que la langue ne nomme pas n'existe pas.

Propositions de l'écriture inclusive (à retrouver dans le Manuel d'écriture inclusive diffusé par le Ministère chargé de l'égalité entre les femmes et les hommes, de la diversité et de l'égalité des chances) :

- le point médian afin de faire apparaître l'ensemble des genres concernés au même moment (avec les réserves que je partage quant à sa lisibilité, évidemment). Il s'agit donc d'afficher le radical d'un mot pouvant désigner hommes ou femmes en fonction de la terminaison choisie, puis d'en afficher toutes les terminaisons possibles simultanément afin que chacun voie l'éventail des possibles sans risquer l'invisibilisation. ► raccourci clavier : alt+0183

- l'introduction d'un genre neutre englobant masculin et féminin sans prévalence (création de mots et pronoms nouveaux, mais aussi et surtout utilisation de tournures et mots épicènes ou impersonnels, c'est à dire qui ne genrent pas (exemple "camarades" plutôt que "compagnons"). Pour ma part, je ne suis pas pour la création de mots nouveaux sortis du chapeau et qui pourraient exclure du sens les personnes qui ne les comprendraient pas, mais pour l'utilisation de l'existant avec une réflexion et un souci d'inclure ou tout au moins de ne plus exclure.

- l'affichage double (plutôt qu'un terme collectif globalisé au masculin, un terme masculin ET un terme féminin consécutivement). Facile, même si c'est un peu lourd, c'est une manière assez simple de marquer cette volonté de ne pas oublier la moitié de l'humanité.

- le retour comme à l'origine à l'accord de proximité (plutôt que d'aller chercher un masculin plus éloigné, on accorde avec le terme le plus proche). Déconcertant, certes, puisque la règle deviendrait extrêmement flexible, mais aussi beaucoup plus simple d'application : Les femmes et les hommes sont beaux. // Les hommes et les femmes sont belles.

- le choix d'un accord majoritaire (afin que le masculin ne "l'emporte" plus sur le féminin systématiquement : Trois hommes et une femme sont beaux. // Un homme et trois femmes sont belles."

En réalité, rejeter en bloc l'écriture inclusive au nom de la pureté de notre langue, c'est ignorer que cette pureté est une construction politique autant qu'un conditionnement esthétique subjectif et tout à fait transformable et critiquable. C'est surtout rejeter l'idée même que la langue contribue à former le réel et que notre réalité d'aujourd'hui est globalement sexiste, raciste et homophobe.

En réalité, l'écriture inclusive, c'est une entrée vers l'humanisme en communication, un levier pour exprimer le souci de l'autre dans sa diversité, un outil parmi d'autres pour faire société ensemble plutôt que les uns contre les autres.

Pour nous qui arpentons la littérature et l'art, la question est celle des représentations sociales. Quand on choisit un personnage d'homme ou de femme, de blanc ou de noir, de jeune ou de vieux, de riche ou de pauvre, de beau ou de laid, etc., on nourrit les représentations du monde des stéréotypes que l'on contribue à renforcer ou de ceux que l'on remet en cause.

Gardons en tête que la langue est la forme que prend notre pensée, et que la langue est bien assez riche pour exprimer des nuances. À notre esprit de se montrer à la hauteur de cet outil et des défis que notre société doit relever.

Pour prolonger la réflexions sur les stéréotypes et la responsabilité des auteurs, je vous propose la lecture de mon article à ce sujet :

https://www.laplumeamie.com/article-10-stereotypes

Si ça vous intéresse, j'ai créé deux récits inclusifs. Le premier est encore inachevé et prend la forme d'une expérience interactive que vous pouvez tenter ici. Le second est une courte romance de Noël que vous pouvez découvrir là.

Petites vidéos d'utilité publique sur ce sujet :

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