Il est loin, l’heureux temps ou Bobonne en tablier à fleurs et mini-jupe sexy apportait whisky, pantoufles et journal à Monsieur après sa longue et fatigante journée de travail pour gagner l’argent du ménage et le statut social du foyer afin que Junior et Pucelle puissent briguer des unions profitables.
Il est loin, donc, ce temps des convenances patriarcales d’un ordre établi et immuable qui brimait dans le berceau les appétits d’émancipation, les fantaisies de personnalité et les rêves d’exploration des chérubins et chérubines assigné•e•s dès la naissance à vivre dans des roses roses ou des choux vert dollar.
C’est qu’on a eu mai 68, quand même, et le féminisme, et Joan Baez — elle a quand même un nom rigolo —, et Simone Veil... Alors, qu’on vienne pas nous émasculer encore d’une supposée domination masculine sur un pauvre sexe faible sans cesse opprimé !
Les femmes n’ont-elles pas le droit de vote depuis 1945 ? N’ont-elles pas le droit de travailler ou d’ouvrir un compte en banque sous leur propre autorité depuis 1965 ? N’ont-elles pas le droit de disposer de leur corps et d’user à leur guise de contraception depuis 1967 ? De prétendre à une égalité de salaire avec les hommes depuis 1972 ? D’avorter et même de divorcer depuis 1975 ? Non, vraiment, de quoi se plaignent-elles, ces féminazies hystériques et castratrices ? Qu’elles arrêtent de nous casser les couilles, ces goudoues pas foutues d’être de bonnes mères et des épouses aimantes et dévouées comme l’étaient Maman et Mémé !
Vous le sentez croître et durcir, cet Axe du Mâle, derrière les avancées du Droit ? Eh oui, pour les plus fin•e•s d’entre vous, vous avez saisi le problème : le droit n’est pas le fait. Aujourd’hui, être femme, c’est devoir composer avec la persistance de clichés de genre extrêmement culpabilisants et nocifs envers les femmes — être séduisantes mais pas aguicheuses, prudes-mais-offertes-mais-pas-trop, être indépendantes, mères, mariées, soucieuses des autres et souriantes, intelligentes et aimantes, douces, souples et solides à la fois pour ne pas mettre en péril le virilisme de leurs compagnons...
Et, de fait, les femmes portent toujours la plus grande part de la charge mentale, des familles monoparentales, de l’éducation et des soins aux enfants, des corvées domestiques, de la planification familiale... tout en travaillant aussi dans des conditions dégradées avec temps partiels subis, inégalités de salaire en leur défaveur, harcèlement sexuel et sexiste, et bien sûr l’opprobre social pour l’échec de leur couple et de l’éducation des enfants, si le mari ou le rejeton ont le malheur de ne pas filer droit.
Cerise sur le gâteau, les femmes supportent aussi la plus lourde assignation de genre dans les représentations sociales, et elles paient un lourd tribut au patriarcat, soit sous la forme de rentes pour les prescripteurs d’antidépresseurs, de mode, de cosmétiques et de magazines de développement personnel, soit en nature en jouant les exutoires pour violeurs et boxeurs avinés du dimanche.
Alors, certes, on n’est plus dans une société à la papa avec des écoles de couture pour les filles, l’imposition réglementaire des robes et la tutelle légale des pères, frères et maris sur les filles, sœurs et épouses, mais le patriarcat, lui, a su se renouveler pour que la domination continue de s’établir.
Quelques exemples au débotté :
• la publicité qui met en scène des caricatures d’hommes et de femmes engoncés dans les uniformes de leur sexe, de préférence beaux afin de bien faire culpabiliser les indigents du miroir ;
• les formulaires administratifs qui donnent presque toujours la primauté de l’homme sur la femme ;
• les règles de langue sexistes avec l’accord masculin en guise de faux neutre et les noms de métiers et de fonctions non mixtes (voir à cet égard mon article sur l'écriture inclusive pour en comprendre les enjeux et modalités) ;
• les créations narratives livresques ou cinématographiques qui mettent toujours en scène la passivité incompétente des femmes qui attendent encore et toujours le Prince charmant qui fera d’elles des femmes dignes d’exister (voir à cet égard mon article sur les clichés dans la littérature et la responsabilité des auteurs et autrices) ;
• la galanterie, qui suppose une faiblesse féminine qui rendrait nécessaire une prévenance particulière — qui permet au passage de garder la mainmise sur la domination de l’espace, quand on tient la porte ou la chaise, et qui permet, petit bonus sympa, de prendre sa proie à revers du regard et du reste...
Bref, quand on naît femme, on doit se débattre dans l’ombre de trois images fondatrices :
• Pandore, jolie poupée irrésistible et arme fatale des dieux de l’Olympe pour punir l’humanité et ses protecteurs grâce à son charme, cheval de Troie des fléaux qui nous torturent désormais ;
• Ève, pécheresse qui pousse l’homme à la faute par un coupable mélange de vénalité naturelle et de stupidité crasse ;
• Salomé, danseuse au corps sublime capable de rendre fou de désir n’importe quel homme pour le faire agir contre son gré et même contre son intérêt.
Heureusement que Marie ou Fatma sont venues apporter un peu de lumière en montrant que la femme n’est pas qu’une dangereuse salope à contrôler, mais aussi une respectable épouse soumise et une mère dévouée. La femme, un individu doté de raison, d’âme ou d’un libre arbitre respectable ? Et puis quoi, encore ?! La liberté d’expression !?
Quand sur les réseaux sociaux littéraires j’attire l’attention sur la culture du viol, le plus souvent, pourtant, ce sont les femmes qui s’en prennent à moi, et ce n’est pas parce qu’elles me reprochent de dire à leur place ce qu’elles pensent. Elles défendent la respectabilité, voire la désirabilité de récits mettant en scène des femmes soumises aux désirs des hommes, tels des trophées conquis par la force, révélées à elles-mêmes par les sévices experts de tortionnaires dont elles tombent amoureuses parce qu’ils ont su les détruire, les briser et donc les rendre heureuses à force de désir réveillé dans leur chair innocente qui ignorait leur animalité.
D'ailleurs, les badboys de Stockholm ont une École, des profs, des formations... et des élèves.
Pourtant, comme dit l'adage — ou presque : "si ça ressemble à un connard, si ça marche comme un connard et si ça parle comme un connard, c'est sans aucun doute possible un connard !" ;p
Un soir, pendant que je faisais la vaisselle de la famille, j’ai regardé un documentaire sur France TV : « Mascus, ces hommes qui détestent les femmes ».
Les masculinistes, je connaissais déjà un peu : j’avais entendu le terme en passant, à propos d’influenceurs de la fachosphère, et j’avais vu passer quelques extraits de leurs vidéos débiles de machos frustrés. Et puis je croisais cet anachronisme psychosocial dans un nombre croissant de fictions glorifiant le badboy nocif et la vierge sacrificielle, le mâle alpha chef de meute et mâle dominant et sa biche complaisante. Je connaissais.
Sauf que.
Sauf que j’avais pas vraiment cerné la menace et à quel point elle est installée et redoutable.
Qu’est-ce que le masculinisme ? Une idéologie violente et misogyne qui ramène la femme au statut de proie, de bétail que l’homme doit dominer quoi qu’il en coûte. Les masculinistes se regroupent en meutes, s’encouragent aux violences sexistes et sexuelles, s’incitent au viol, se légitiment dans la suprématie de leur désir et de leur intérêt sur celui de toutes les femmes.
Ils s’organisent en congrégations, se dotant d’outils numériques et théoriques puissants sur lesquels se fondent des mannes financières croissantes, et ils diffusent des tutoriels et manuels de manipulation mentale pour affûter leur efficacité prédatrice, le tout dans un bain de discours misogynes à vomir.
Sauf qu’on parle là de plusieurs dizaines d’influenceurs ayant pignon sur rue et diffusant des milliers d’heures de vidéos d’incitation à la haine et au viol des femmes.
On parle de communautés de plusieurs milliers de membres sur tout le territoire qui produit, partage et fait vivre cette idéologie de haine aux accointances fascistes.
Une communauté internationale adorant et se préparant à la violence sous toutes ses formes dans une sacralisation de la toute-puissance virile de l’homme — le plus souvent blanc.
Et c’est là qu’on rejoint mes préoccupations éducatives.
En effet, au collège où je travaille, nous connaissons année après année un accroissement de la résistance aux discours sur l’égalité et la laïcité, sur la science et le vivre-ensemble, l’éducation à la sexualité, les relations sociales… Les occasions de conflits sont légion, les propos outranciers des élèves presque la règle. « Moi, ma femme, elle aura pas le droit de... », « Ma femme, elle aura pas intérêt de... ». Trois poils au cul, et ces petits machos aux idées courtes se prennent pour des ours. Sauf que les ourses elles-mêmes semblent souvent valider ces thèses. L’effet de groupe pèse. Lourdement. Toxiquement.
Pourquoi ?
Nos jeunes passent l’essentiel de leur temps libre sur des écrans, sur Internet.
Alors que trop de parents semblent croire qu’ils ont offert une Game Boy à leur enfant, ils ont fait entrer l’enfer dans leurs vies : prédateurs financiers et sexuels, discours de haine, complotisme, sexisme, homophobie, racisme, intolérance religieuse, intox, violence, pornographie, escroqueries, chantages sexuels, cyberharcèlement, agressions organisées et filmées… et l’écran pour les gouverner tous, ce petit écran mignon, greffon indispensable qui maintient le jeune sous perfusion délétère en continu, nuit et jour, tous les jours de la semaine. Jusque dans sa chambre, au plus intime de sa psyché. Dans la spirale destructrice de l’addiction.
Un lavage de cerveau constant que l’École et les parents sont incapables d’endiguer, tant le conformisme du groupe des pairs et l’efficacité des images sur les réseaux sociaux l’emportent sur tous les discours de tempérance hachurés de ces adultes quasi-absents de leurs existences sensibles.
L’adolescence se caractérise en effet par plusieurs facteurs de désordre qui nous laissent souvent impuissants faute de les désamorcer :
— prise de conscience de l’insuffisance et de la faillibilité des adultes, qui ne peuvent plus être vus ni comme des protecteurs ni comme des modèles, nécessitant de fait la recherche de nouvelles tutelles transgressives ;
— bouleversements physiologiques externes et internes qui sont vecteurs d’un stress identitaire et social intense poussant à des stratégie de conformisme, d’évitement ou de confrontation ;
— tsunami hormonal qui balaie la psyché en effaçant tout ou partie de l’empathie et en excitant démesurément la sensibilité, suscitant des syndromes paranoïaques confinant à l’agressivité et à la rupture de communication avec les figures d’autorité ;
— nécessité cruciale de se construire dans l’imitation ou l’opposition pour se sentir exister et appartenir à soi et au monde, donc adhésion à des bulles cognitives protectrices mais souvent toxiques qui viennent inscrire le jeune dans un processus sectaire.
Or, alors même qu’on devrait accompagner la mue de toutes ces chenilles humaines, on les laisse étouffer dans leur chrysalide. Soumettre des êtres aussi vulnérables et instables aux écrans, c’est en effet les jeter en pâture aux pires idéologies. Sachant que l’exposition aux écrans altère les compétences sociales ou empêche leur développement et diminue autant l’empathie que les capacités à faire face au monde réel, nous sommes en train de bâtir dans cette société libérale capitaliste de violences encouragées par la compétition un peuple de psychopathes dopés à l’égocentrisme, à la jouissance immédiate et aux violences les plus gratuites.
Ces dernières semaines, plusieurs lynchages ont eu lieu en France. Orchestrés par les réseaux sociaux et pour les réseaux sociaux, ils ont laissé pour l’instant un jeune sur le carreau et un autre à l’hôpital. Pour la France — parce que c’est pire ailleurs. Combien de morts faudra-t-il encore parmi nos enfants pour que nous prenions au sérieux cette menace que nous avons forgée tel un piège à notre jeunesse, à notre avenir ?
Quoi qu’il en soit, il est des mesures d’urgence qui correspondent aux besoins de nos jeunes et de notre société :
— sortir du système autoritariste moribond depuis 1968 et entrer enfin dans un système de co-construction fondé sur des instances de discussion mixtes et des formations à la communication non violente et à l’empathie pour TOUS ;
— accompagnement et formation des jeunes pour leur permettre de se comprendre (physiologie, psychologie, sociologie) ;
— limiter les effets nocifs du groupe en rééquilibrant le rapport ados/enfants à l’École en quantité et qualité ;
— éducation réelle aux médias et technologies numériques, et contrôle strict de l’accès à Internet pour les mineurs / sensibilisation et formation des parents aux dangers numériques.
Il faut comprendre que l’avenir dépend des choix de l’humanité que nous avons été, que nous sommes et que nous devenons. On sait qu’on a commis des horreurs ; on sait qu’on commet toujours des erreurs ; mais doit-on forcément les répéter encore et encore avec des conséquences toujours plus irréversibles et terribles ?
Bref... Revenons à la question du sexisme et des violences sexistes et sexuelles.
Contrairement à ce qu'on pourrait penser, les plus grands défenseurs du sexisme ne sont pas les hommes, dont on connaît le penchant machiste et misogyne et dont on se méfie avant de leur pardonner une violence qu’on attache à ce sexe infantile et brutal que nul ni rien n’aurait la légitimité de contraindre. Non, le plus grand ennemi de l’émancipation féminine, aujourd’hui, ce sont ces femmes qui ont intégré les représentations sexistes qui les enferment et les réduisent à l’état d’accessoires de l’homme. Parce qu'on doit toujours avoir en tête que les représentations de genre que nous avons se construisent durant l'enfance via les modèles qu'il nous est donné d'observer...
Comme pour tout fascisme, la pensée misogyne s’appuie sur le sophisme, une stratégie rhétorique qui consiste à déformer les faits pour les disqualifier par l’absurde, puisqu’ils sont en réalité incontestables. Un processus argumentatif qui consiste à imposer par la violence des raisonnements qui ne tiennent ni par la vérité ni par la logique.
Pour s’émanciper d’une violence systémique, la victime de sexisme, de racisme, d’intolérance sexuelle ou religieuse doit d’abord et avant tout prendre conscience que cette tyrannie qui la détruit et l’étouffe ne tient pas qu’à des attaques frontales, mais aussi et presque surtout à une infinité de brimades qui forment un continuum entre le regard méprisant et le coup mortel : la pente glissante de l’essentialisation qui conduit à la déshumanisation, qui seule permet la libération de la haine. Or, faute d’éducation, d’instruction, d’information, nombre de personnes souffrent en silence en intériorisant sous forme de culpabilité la maltraitance qu’on leur fait subir. Quand tout un système nous reproche d’être ce qu’on est, comment ne pas finir par douter en effet d’être ce dont on nous accuse ?
Les êtres humains sont de formidables potentiels qui peuvent se réaliser grâce au tissu social dans lequel ils s’insèrent et qui leur permet de démultiplier leurs ressources et capacités. Sauf que tout corps social tend au conformisme, que le conformisme conduit à la normativité, que la normativité conduit à définir des déviances transgressives, et que celles-ci, pour la sécurité du groupe, se voient implacablement punies.
Sauf qu’être femme, petit, noir, gros, musulman, bisexuel ou handicapés ne constituent pas des transgressions inacceptables qu’il faudrait sanctionner par la violence du groupe : ce sont seulement des variations autour de ce que nous sommes, c’est-à-dire des êtres vivants, changeants, pluriels. Et c’est très bien ainsi.
Alors, pour que cette diversité soit une force, il faut être capable de l’accepter en soi et en l’autre, et cela nécessite un effort, car il faut penser contre le système qui nous rassure tant qu’on rentre dans son uniforme de pensée, contre le groupe qui nous entoure tant qu’on en valorise les conduites tyranniques et standardisées.
Je ne pratique pas ici le mansplaining : je ne m’arroge pas la parole des femmes en me pensant supérieur à elles. J’ajoute ma voix à celles des femmes et des hommes qui veulent vivre librement leur humanité.
Je ne pratique pas ici non plus le moralisme sentencieux et gratuit des donneurs de leçons qui prêchent pour prouver leur supériorité plutôt que pour tendre la main.
Néanmoins, si le Bien et le Mal sont sujets à caution suivant les contextes, il s’avère que la Loi, elle, condamne les violences sexistes et sexuelles, racistes ou discriminatoires en tout genre, et que le bien commun suppose qu’on s’intéresse au bonheur de chacun dans la limite du bonheur de tous les autres. Or, si un facho, un macho ou un con blessent et tuent, on n’a jamais vu la mort semée par l’essence d’un genre, la couleur d’une peau ou un livre de culte.
Pour aller plus loin dans l’exploration des chaînes qui entravent nos pensées, notre lien avec les autres et de manière générale notre liberté d’accéder tous ensemble au bonheur, je vous invite à consulter mes publications complémentaires :
• pour consulter le dernier rapport du Haut Comité à l'Égalité, c'est par-ici ;
• sur les stéréotypes nocifs dans l’art et la société, c'est par-là ;
• sur les biais cognitifs qui faussent nos perceptions et réflexions, c'est par-ici ;
• sur l’inversion des valeurs qui bouleverse notre contrat social, c'est par-là ;
• sur les perversions de la pensée individualiste et la réalité des déterminismes dont il faut prendre conscience pour pouvoir s’en affranchir, c'est par-ici ;
• sur la gravité de la situation actuelle qui nous impose de tisser des liens entre nous pour reconquérir la possibilité de notre avenir et de notre bonheur, c'est par-là.
Si cet article a eu l’honneur de vous paraître intéressant, n’hésitez pas à le dire — ça fait toujours plaisir ! — et à le partager — j’ai la prétention de croire que la réflexion que je vous ai proposée est plus intéressante que ces photos de chatons qui circulent pourtant de manière aussi virale que les fake news qui ravagent notre confiance dans le vivant.
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